Erin Fane – Fille du serpent (Tome 1 – Episode #2)

Là, j’eus une vision d’horreur. Quelque-chose se balançait mollement dans le vent glacé.

En y regardant de plus près, je reconnu une forme humaine. La forme d’une femme, pendue.

– Tu vois ? C’est ce qui va t’arriver si tu ne fais pas bien attention à toi.

La voix de mon cousin dépassait à peine le fracas des battements de mon cœur. J’étais submergée par le sentiment que je n’aurais pas dû voir ce spectacle, qu’il était simplement trop pour moi. Je tournais le dos à la silhouette et me mis à courir sur la glace pour quitter le lac au plus vite.

Mon cousin fut plus rapide. Il m’attrapa par le bras et, dans une violente secousse, me projeta au sol. Je heurtais la glace avec douleur, elle émit un grincement sinistre. Il s’appuya alors de tout son poids sur mon dos pour m’empêcher de me relever. D’une main, il tourna mon visage vers le corps de la femme qui se balançait sous les branches de l’autre côté du lac.

– Tu dois regarder !

Je fermais les yeux. Il frappa ma tête contre la glace, mais je ne les rouvrais pas.

– Tu dois regarder pour te rappeler de ce que tu es et de ce qui t’attends tôt ou tard !

J’étais sonnée, je ne me souviens pas clairement de ce qui se passa ensuite. Un souffle de vent agita la neige sèche sur le lac gelé. Je rouvris les yeux. Le murmure de la glace grinçait contre mon oreille engourdie. Alors, je la sentis. Une vague de chaleur bienvenue qui montait de sous la glace, j’entendis l’eau bouillonner contre la paroi, puis elle m’envahit. Une puissance inconnue s’insinuait en moi et elle venait de l’eau. Cette soudaine invasion de mon corps par une puissance étrangère, me terrifia.

Sans que je ne comprenne comment, mon cri d’effroi projeta mon cousin en arrière comme un vulgaire fétu de paille. Il glissa sur son séant sur plusieurs mètres avant de s’arrêter au milieu du lac. Son air, aussi déconfit qu’inquiet, me réconforte encore aujourd’hui quand j’y repense. Je me redressais, sous un vent qui avait forci, mes cheveux décoiffés, ondulaient autour de mon visage. Je voyais du coin de l’œil, le corps de la femme qui se balançait un peu plus fort. Ce vent, n’avait rien de naturel, il émanait de moi.

Emplie de terreur, je repris alors mon projet de quitter les lieux. Tout autour de moi frémissait d’une puissance surnaturelle et je ne voulais pas y être associée davantage. Mais alors que je profitais du répit pour rebrousser chemin, un craquement suivi d’un cri me fit tourner la tête, malgré moi.

La glace avait cédé sous mon cousin, il avait été englouti. Je ne voyais plus de lui que ses bras qui s’agitaient au-dessus de l’eau pour trouver à quoi s’accrocher. Ayant grandi dans cette région peu clémente du nord de l’Hexford, je connaissais les risques d’une chute dans l’eau glacée. Il n’avait pas plus de quelques minutes avant de mourir d’hypothermie. Sans réfléchir, je détachais une branche de bois mort sur la berge et me jetais en avant sur le lac.

Sa tête et ses bras désespérés émergeaient par intermittence, cherchant de l’air. Je m’approchais précautionneusement, terrifiée à l’idée de me retrouver dans sa situation. Pour la première fois, je souhaitais volontairement ressentir à nouveau la vague de puissance qui m’avait inquiétée un peu plus tôt. Je cherchais désespérément le lien qui m’avait rattaché un instant à ce lac, espérant y trouver de l’aide.

Le vent s’accentua, hurlant autour de moi comme une nuée d’oiseaux furieux. Je sentis à nouveau l’eau frémir sous la glace, puis la chaleur qui s’insinuait en moi, me reliant à toutes les choses qui m’entouraient. Le plaisir que j’en ressentis m’indiqua qu’il s’agissait de la magie des démons, mais je n’avais pas le temps d’en prendre peur. Mon cousin parvint à s’agripper à la branche que je lui tendais. Je le tirais alors sur la glace avec une force qui n’était pas la mienne. Il était hors de l’eau jusqu’à la poitrine lorsque la glace traitresse céda à nouveau sous lui, le bâton sec se rompit aussitôt.

Alors, à bout de désespoir, je cherchais plus profondément une solution dans la force qui m’envahissait. Je ne vis pas tout de suite ce qui se passait autour de moi. Tremblante et à bout de souffle, je regardais à l’entour en essayant de ne pas voir le cadavre qui se balançait dans le vent que j’avais provoqué.

Apparurent alors dans mon champ de vision, des sarments de ronces qui se déplaçaient à la surface du lac depuis les berges. Elles envahissaient les lieux à une vitesse impressionnante, pour se diriger vers le trou dans la glace où avait disparu mon cousin. Arrivées au bord de l’eau, elles serpentèrent sous la surface. Je n’en croyais pas mes yeux, avais-je causé ce prodige ?

Dans un grincement végétal, les ronces sortirent mon cousin de sa prison de glace et le déposèrent à mes pieds, dégoulinant et piteux. Dégrafant mon manteau, je le portais à ses épaules et le frictionnait pour le réchauffer avant de lui intimer de rentrer à la maison au plus vite.

Sur le chemin du retour, je du presque le porter. Il était lourd et il me tenait froid. Il peinait à marcher dans le bois dense où il m’avait lui-même attiré. Je le maudissais à chaque pas d’avoir eu cette idée idiote.

Lorsque nous arrivâmes par miracle sur un chemin plus fréquenté, nous croisâmes la route de Sieur Lectaire, en voiture, qui rentrait de son sermon matinal. En voyant son fils à demi mort de froid et couvert de coupures causées par les ronces, il ne posa pas de question mais porta sur moi un regard sévère. Je ne sais pas ce que j’espérais de mon cousin à cet instant, peut-être qu’il reconnut qu’il avait subi ces blessures par la force de sa seule stupidité. C’était lui accorder trop de grâce. Dès qu’il reconnut son père, il me pointa d’un doigt tremblant et grelotta :

– C’est elle père, c’est une sorcière.


En savoir plus sur L'Atelier de Sihaya

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire