On adore quand une histoire subvertit nos attentes et que, d’un seul coup, on découvre que tout ce que l’on tenait pour vrai était en fait un mensonge. C’est le moment où on se met à rembobiner l’histoire pour se demander : « Attends, quoi ? En fait quand iel faisait ça… ça voulait dire ça ? » Pourtant, il y a beaucoup d’incompréhensions et de fausses croyances sur ce que sont vraiment les « plot-twists » et surtout : sont-ils vraiment si difficiles à écrire ? On en parle tout de suite.

Déjà, c’est quoi un plot-twist ?
Encore un anglicisme qu’on a du mal à traduire ! Le « plot », c’est le scénario et un « twist » (les plus ancien·nes d’entre nous savent, pour avoir vu leurs parents ou grand-parents se dandiner frénétiquement au son de « Let’s Twist Again ») c’est un retournement, ou le fait de tordre quelque chose. Donc si on veut parler en bon français, un plot-twist, c’est le moment où l’intrigue se retourne sur elle-même pour nous donner une toute nouvelle perspective d’analyse sur l’histoire qu’on regarde, lit ou écoute.
Un plot-twist ou « retournement de situation », ce n’est pas une simple révélation. Il y a plein d’exemples dans la fiction de moments où un·e personnage révèle un énorme secret qui change le cours de l’histoire. Le retournement de situation, c’est plus profond que ça : il modifie non seulement le cours de l’histoire, mais aussi ce qu’on en avait compris auparavant.
Voici quelques exemples : (divulgâchage en approche)
- Dans Sixième Sens, Bruce Willis est en fait un fantôme.
- Dans Harry Potter à l’école des sorciers, c’était Quirrell l’allié de Voldemort et non Rogue.
- Dans Fight Club, les deux personnages principaux sont en réalité une seule et même personne souffrant de trouble dissociatif de l’identité.
- Dans Le Prestige… non, celui-là, je ne veux vraiment pas le spoiler. Allez lire le livre, vous comprendrez pourquoi.
Dans tous ces exemples, les lecteur·ices ont eu ce moment de « woah » qui donne envie de relire toute l’histoire pour mieux comprendre. C’est puissant, vertigineux, et bien plus qu’un simple gros secret révélé à la fin, ou une mort affreuse et innattendue qui change le court de l’histoire (hello Ned Stark et les noces rouges). Ça oblige à tout reconsidérer.
Certaines personnes peuvent au contraire se sentir trahi·es par cette rupture du contrat narratif entre auteur·ice et lecteur·ice. Mais dans tous les cas, cela provoque des émotions fortes.
Il y a des auteur·ices qui en ont fait leur marque de fabrique (coucou M. Night Shyamalan). Mais ça ne s’écrit pas tout seul. Il existe une vraie méthode si l’on veut intégrer un retournement de situation aussi majeur dans une histoire. Voici les cinq points essentiels :
1. Ecrire à l’envers
Insérer un retournement de situation dans une oeuvre, ce n’est pas quelque chose que l’on décide de faire à la dernière minute, quand on écrit le dernier chapitre. C’est pensé à l’avance comme tel, et l’objectif est clairement établi pour l’auteur/e qu’il ou elle va prendre un malin plaisir à trimballer ses lecteurs/ices sur une fausse piste tout au long du livre.
Donc, la première chose à faire avant même de commencer à écrire c’est se poser les questions suivantes.
- Que va changer mon twist pour le·a lecteur·ice ?
- Quelle histoire je fais croire que je raconte ? Et quelle histoire je raconte vraiment ?
- Ex : M. Night Shyamalan veut nous raconter l’histoire d’un psy cartésien qui doit aider un enfant qui dit voir les morts à dépasser son trouble mental. Le point de départ narratif est une situation de thrilleur psychologique. Alors qu’en fait, la question de l’existence des fantômes est une réalité puisque l’enfant médium va aider son psy à trouver la paix et quitter l’entre-deux mondes. On retourne complètement le point de départ de l’histoire.
- Quels indices placer, pour qu’à la relecture tout paraisse évident ?
- Ex : J.K. Rowling fait assister son personnage principal à des altercations entre Rogue et Quirrel, si on les relit attentivement on se rend compte qu’elles sont à double sens et que c’est Harry (parce qu’il a un mauvais pressentiment au sujet de Rogue) qui infère que c’est lui qui veut voler la pierre philisophale.
- Dans le même exemple, il y a toute une série d’indices parsemés tout au long du roman qui renforcent cette croyance (la douleur à la cicatrice, le mauvais sort pendant le tournoi de quidditch…)
2. Subvertir le genre mais à vos risques et périls
Changer de genre au moment du twist, c’est puissant. Mais risqué. On peut frustrer, voire perdre des lecteur·ices si le virage est trop abrupt ou peu cohérent. L’unité de ton et de thème est primordiale. Le twist ne doit pas détruire l’histoire initiale, mais la recontextualiser.
Comme on l’a vu plus haut, les retournement de situation ont souvent pour effet de changer radicalement le type d’histoire que l’on raconte. C’est à double tranchant parce que le lecteur peut se sentir trahi. C’est personnellement ce qui m’est arrivé en lisant Fight Club. J’avais signé pour un essai politique sur la construction des groupes masculinistes extrémistes et je me retrouve avec une représentation (pas toujours bien documentée) des troubles dissociatifs de l’identité. Et si certains ont apprécié, je dois dire personnellement que ça m’a complètement sorti de l’histoire et donné envie de jeter le livre à travers la pièce.
L’avantage, c’est que ça crée toujours du débat. Il y aura des discussions passionnés sur les forums et sur reddit sur le sujet et ça peut être un bon outil pour faire la promotion d’un livre, même si certains retours sont négatifs, ça peut donner envie aux gens de lire le livre pour se faire leur propre avis.
Donc il convient toujours d’analyser ce qui fonctionne en matière de plot twist. Dans l’exemple de Sixième sens, ce qui fonctionne c’est que les genres sont relativement proches : Thrilleur psychologique + mystère autour de la mediumnité et psychologie du deuil, restent des thèmes communs et complémentaires. Les deux genres utilisés soulèvent des questions similaires concernant :
- L’existence des phénomènes paranormaux
- Le cartésianisme vs. l’ésotérisme
- Le symbolisme des fantômes comme des moyens de donner du sens à la vie par la compréhension de ce qui les conduit à hanter les lieux.
C’est vers ça qu’il faut tendre pour qu’un retournement de situation fonctionne. Une unité de ton et de thèmes, pour permettre aux deux versions de l’histoire de fonctionner en interconnexion.
3. Trouver des situations à double sens
Un bon twist repose souvent sur des dialogues ou des scènes à double lecture. C’est là que le travail de relecture et de construction devient passionnant : comment semer les indices sans dévoiler le tout ? Comment rendre l’histoire captivante, même avant la révélation ?
Ce qui peut paraître totalement effrayant quand on veut raconter une histoire qui n’est pas ce qu’elle prétend être, c’est comment faire en sorte que ce que l’on raconte avant l’apparition du retournement paraisse :
- Plausible
- Intéressant et attirant
- Impossible à deviner à la première lecture (ce n’est pas toujours possible, il y aura toujours des personnes qui auront la bonne intuition et il faut l’accepter, d’ailleurs ce n’est pas grave, parfois les lecteurs/ices aiment le sentiment d’avoir été plus malin/gne que l’auteur/e.
Pour ça, il faut vraiment travailler sur le double sens. Ca peut se jouer dans :
- Des conversations (l’exemple d’Harry Potter 1) qui peuvent se comprendre de deux manières mais où l’on suit le protagoniste dans ses déductions car d’autres éléments nous conduisent à penser qu’il a raison de croire ce qu’il croit.
- Des éléments narratifs, peut-être le protagoniste n’est pas complètement fiable (c’est là que les maladies mentales, les situations d’hypnose ou les problèmes de mémoire sont souvent des outils utiles pour laisser planer le doute sur ce qui se passe vraiment).
Il est aussi important que l’histoire soit intéressante avant même que le plot-twist n’intervienne. C’est le cas pour Fight Club par exemple puisqu’on suit les aventures de deux personnages tout à fait atypiques, la création du Fight Club, le développement de leur groupe clandestin, les moments où il commettent des cambriolages, tout ça crée de la bonne fiction avant même que l’on comprenne ce dont parle vraiment l’histoire.
4. Se concentrer sur l’expérience du/de la lecteur/ice
C’est vrai pour toute oeuvre de fiction. C’est toujours utile de se demander ce que vont ressentir les les lecteurs et lectrices de nos oeuvres. Mais c’est évidemment d’autant plus vrai pour les histoires à retournement de situations.
Toujours penser à ce que ressentira la personne qui lit. Est-ce qu’iel sera surpris·e ? Frustré·e ? Émerveillé·e ? Le twist doit enrichir l’expérience, pas l’écraser. Restez connecté·e au thème central de l’histoire : si votre intrigue tourne autour du deuil, de la rédemption ou de la quête de vérité, le twist doit rester en lien avec ces grands axes émotionnels.
Pour faire ça, tu peux te poser les questions suivantes :
- Quel genre de lecteur/lectrice va aimer, apprécier mon livre dès le départ ?
- Si j’aime les romans de fantasy jeunesse, le simple fait de rencontrer Harry, et de voir Hagrid cuire des saucisses avec un parapluie rose suffira à me faire apprécier le livre.
- Si j’aime les thrillers psychologiques, l’histoire d’un psychologue envoyé aider un enfant qui dit voir « des gens qui sont morts » va certainement m’attirer.
- Si j’aime les histoires de prestidigations et les romans historiques sur le XIXe siècle, je vais être attiré par le prémice du Prestige.
- Comment créer une subversion de genre ou d’attentes au moment du retournement de situation qui soit satisfaisante pour le/la lecteur/ice sans créer ce sentiment de trahison ?
- C’est plus facile à faire quand on écrit dans le genre du mystère à résoudre, de l’enquête ou du thriller psychologique. Le lecteur cherche ce sens de perte totale de repère et aime se poser des questions.
- Pour un autre genre, c’est intéressant de garder en tête le thème de l’histoire (le sujet de fond qui est traité : le deuil, la mélancolie, le traumatisme) et d’essayer de colorer le retournement de situation avec ces thématiques pour que ce qui a intéressé le/la lecteur/ice dans un premier lieu en commençant l’histoire puisse continuer de s’investir après la révélation.
- Qu’est-ce qui peut choquer au point de détruire l’objectif de base de l’histoire ?
- J’ai beaucoup parlé de maladies mentales, de troubles de la mémoire… ce sont des sujets complexes, qui peuvent donner lieu à de bons exemples de storytelling (je trouve que le film Gothika fait ça plutôt bien avec un sous-texte politique parfois un peu trop appuyé). Le problème c’est que de vraies personnes, dans la vraie vie souffrent de ces troubles et que mal les représenter peut être dommageable pour leurs communautés. Donc avant de se lancer là-dedans, on fait des recherches et on interroge des personnes concernées.
5. Maîtriser les conséquences du twist
Un retournement de situation réussi ne s’arrête pas à la révélation. Il transforme l’histoire jusqu’à la fin. Les conséquences doivent être concrètes, visibles, émotionnelles :
- Comment le twist bouleverse-t-il les relations entre les personnages ?
- Quelles décisions le personnage principal prend-il·elle désormais ?
- Est-ce que ce changement provoque une crise morale, un retournement émotionnel, une perte ou une libération ?
Un twist sans suite est un gadget. Un twist qui change tout, y compris ce qui vient après, c’est de la narration maîtrisée.
En conclusion
Un retournement de situation réussi ne s’arrête pas à la révélation. Il transforme l’histoire jusqu’à la fin. Les conséquences doivent être concrètes, visibles, émotionnelles :
- Comment le twist bouleverse-t-il la relation que le lecteur a avec l’oeuvre ?
- Quelles décisions le personnage principal prend-il·elle désormais ?
- Est-ce que ce changement provoque une crise morale, un retournement émotionnel, une perte ou une libération ?
Un twist sans suite est un gadget. Un twist qui change tout, y compris ce qui vient après, c’est de la narration maîtrisée.
Les plot-twists ne sont pas juste des effets de manche. Ce sont des outils puissants pour renouveler notre regard sur une histoire. Mais ils demandent de la méthode, de la structure, et surtout du respect pour le·a lecteur·ice.
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