Donner de l’agentivité à son personnage féminin (sans en faire une héroïne “forte” clichée)

On croit bien faire. On veut créer des personnages féminins puissants, inspirants, capables de se défendre, de sauver le monde, de tenir tête aux hommes. Et pourtant, à force de vouloir les rendre “fortes”, on les rend souvent… vides. Certainement, en tant qu’auteure féministe, je suis passée par là. Je veux que mes héroïnes évoquent la force et le pouvoir, mais c’est difficile à faire sans tomber sur un certain nombre d’écueuils.

Des héroïnes badass mais interchangeables. Qui frappent fort, parlent sec, refusent l’amour ou les jupes, et dont l’histoire ressemble à une check-list féministe… mais qui n’ont aucune vraie liberté narrative.

Pourquoi ? Parce qu’on confond souvent force et agentivité.


1. L’agentivité, c’est quoi ?

L’agentivité (ou agency, en anglais) désigne la capacité d’un personnage à faire des choix qui influencent le récit.

Un personnage agentif :

  • décide (même sous contrainte)
  • agit (même à petit niveau)
  • change le cours des choses (même indirectement)

À l’inverse, un personnage passif :

  • subit les événements
  • attend qu’on le sauve
  • est défini uniquement par les décisions des autres

Une héroïne n’a pas besoin d’être une guerrière pour être puissante. Il suffit qu’elle ait une volonté propre et qu’on lui permette de l’exercer.


2. Le mythe de la “femme forte”

Aujourd’hui, dans beaucoup de fictions, on retrouve le trope de la femme forte :

  • experte en arts martiaux
  • insensible à l’amour
  • sarcastique et froide
  • meilleure que les hommes dans leur propre domaine

Ce trope, qui se veut féministe, est en réalité une caricature. Il ne donne pas plus d’agentivité à l’héroïne. Il lui colle juste des attributs virils en pensant que ça suffira.

Résultat : on remplace une princesse passive par une guerrière en armure… mais qui est tout aussi déconnectée de son intériorité.

Et surtout : elle reste souvent enfermée dans un rôle écrit pour un homme. C’est là qu’on commence à entrer dans les clichés qui ne déplaisent pas à ces messieurs. Je pense que si on veut écrire des personnages féminins réellement intéressants, il faut penser à les écrire autrement que désirables. Elles doivent être attirantes pour leurs conflits intérieurs, leurs difficultés, ce n’est certainement pas facile à faire, mais on a déjà quelques exemples dans la littérature actuelle.


3. Donner du choix = donner du pouvoir

La vraie force narrative d’un personnage ne vient pas de ce qu’il sait faire, mais de ce qu’il choisit de faire.

Tu veux créer une héroïne complexe ? Pose-toi ces questions :

  • Qu’est-ce qu’elle veut vraiment ?
  • Qu’est-ce qu’elle refuse ?
  • À quel moment fait-elle un choix difficile ?
  • Est-elle capable de se tromper, de changer d’avis, de s’écouter ?

L’agentivité se niche dans les dilemmes, les actes de résistance, les limites posées, les décisions coûteuses. Pas seulement dans les scènes d’action.


4. L’agentivité peut être silencieuse

Un personnage n’a pas besoin d’être explosif pour être puissant.

Accepter un héritage. Quitter une relation. Dire non. Rester quand tout pousse à fuir. Partir quand tout pousse à rester.

Les plus beaux arcs de personnages viennent souvent de choix intimes, pas de coups d’éclat.

📖 Pense à Jane Eyre, à Éowyn (le seigneur des Anneaux), à Offred dans La Servante Écarlate. Elles ne sont pas “badass” au sens moderne. Mais elles sont profondément agentives. Parce qu’elles choisissent et vont au bout de leurs décisions.


5. Éviter les pièges

Quelques erreurs fréquentes à éviter :

  • Donner à ton héroïne plein de compétences… mais jamais l’occasion de les utiliser. Ou alors tellement qu’elle en devient invincible (Captain Marvel a souvent été critiquée pour ça, même si j’ai aimé le film, les scénaristes sont allées tellement loin en lui donnant ses pouvoirs qu’ils ont été obligé de l’évincer d’End Game sinon on se serait tous demandé pourquoi elle n’allait pas s’occuper de Thanos toute seule, ça complique la narration et ça rend le personnage moins facile à apprécier.)
  • La faire réagir à tout… sans jamais prendre l’initiative. On connaît bien les dérives du Torture porn où on aime voir des femmes souffrir sans raison, à mon sens c’est ce qu’il faut éviter. Envoyer des tonnes d’épreuves de plus en plus horribles à ton personnage sans raison autre que la faire souffrir, ce n’est pas terrible (même si la Servante Ecarlate entre dans cette catégorie, je dois bien le reconnaître).
  • La faire sauver les autres… mais jamais elle-même
  • La faire forte… mais vide d’émotions
  • La faire aimer un homme… mais sans jamais se choisir, elle

Un bon test : si on retire l’héroïne du récit, que se passe-t-il ? Si l’histoire peut continuer sans elle, alors elle n’en est pas le moteur. Elle n’a pas d’agentivité.


En résumé

👉 L’agentivité, ce n’est pas frapper plus fort. C’est peser sur le récit. Ou prendre des décisions intelligentes qui permettent de résoudre les conflits autrement.

👉 Ce n’est pas jouer un rôle masculin. C’est imposer sa propre trajectoire, et romantiser des aspects de la féminité qui sont souvent mal représentées dans la culture populaire (un exemple facile : la proximité avec ses émotions (voir les théories sur le « Travail émotionnel » pour aller plus loin, le pouvoir et la profondeur des amitiés féminines, la capacité à se relever de traumatismes non-reconnues par la société)

👉 Ce n’est pas toujours briller. C’est oser choisir — même dans le silence, même dans la nuance. L’avantage d’écrire de la fiction c’est que l’on peut décrire les pensées de son personnage.

Une héroïne n’a pas besoin de sauver le monde. Elle a juste besoin de se sauver elle-même.

Et c’est déjà beaucoup.

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A très bientôt dans l’atelier.


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